Résumé
Anna, fille d'un riche industriel romain, traverse une période de doute et de lassitude lorsqu'elle part, avec quelques amis, en croisière au large de la Sicile. Sandro, son fiancé, et Claudia, sa meilleure amie, l'entourent de leur affection sans parvenir à la sortir de sa torpeur.Au cours d'une escale sur une île déserte, elle s'éloigne et ne reparaît plus. Les recherches s'organisent, en vain. Au bout de quelques jours, seuls Sandro et Claudia conservent l'espoir de la retrouver.L'absence d'Anna les a rapprochés, ils ont appris à s'apprécier, ils s'aiment. Le souvenir de la disparue s'estompe peu à peu pour ne laisser place qu'à leur amour...
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CHRONIQUE D’UNE DISPARITION ET AFFIRMATION DE LA MODERNITÉ
Anna, fille d’un ambassadeur italien, retrouve son fiancé Sandro, un architecte mondain et volage. Si le jeune couple se dispute souvent, l’amour physique prend toujours le dessus. Claudia est l’amie et confidente d’Anna. Un jour, Anna, Claudia, Sandro et deux couples partent en croisière sur un bateau pour les Îles Éoliennes. Ils débarquent sur une petite île rocheuse et constatent brusquement la disparition d’Anna. Les heures se suivent sans traces d’Anna. Certains restent dans l’île tandis que d’autres partent chercher du secours avant l’arrivée de la tempête.
L’Avventura est resté dans l’histoire du cinéma comme l’œuvre clé de la modernité ouvrant une nouvelle voix certes à la filmographie d’Antonioni, mais encore de tout un cinéma dont les cinéastes se sentiront encouragés et poursuivront dans cette belle veine (pour n’en citer que quelques uns : Wong Kar-wai, Nuri Bilge Ceylan, Apichatpong Weerasethakul, Lisandro Alonso, Carlos Reygadas, etc.). Autrement dit, cette œuvre phare est un monument incontournable pour le cinéphile tout autant que pour l’historien du cinéma. Le film exprimait la « modernité » artistique d’une époque qui se révoltait contre certains carcans.
Ce qui lui valut beaucoup d’incompréhension et en premier lieu lors de sa projection à Cannes en 1960, huée par le public qui ne pouvait pas accepter la disparition inexpliquée et inexpliquable du personnage principal. Ce qui ne l’empêcha pas, encouragé par une grande partie de la critique, d’obtenir le Prix du jury. Le film est devenu un tel symbole que quarante-huit ans plus tard, l’affiche du festival de Cannes 2009 rendait hommage à L’Avventura en utilisant une image du film. Autrement dit, le film est devenu le symbole de ce que l’on peut attendre du cinéma. Mais de quoi s’agit-il ?
Lorsque les spectateurs ont hué le film à cause de cette disparition inopinée de celle qui semblait être l’actrice principale, à l’instar de Marion Cane (interprétée par Janet Leigh) dans le tout autant mythique Psychose d’Alfred Hitchcock qui sortait sur les écrans français la même année en 1960 ! Ce besoin de renouveler l’écriture cinématographique, précédant la Nouvelle Vague en France, s’imposait donc par certains comme une nécessité. Hitchcock comme Antonioni ont surpris leurs spectateurs parce qu’ils sont passés d’un genre très codifié à un autre au sein d’un même film. Ainsi, L’Avventura débute comme l’histoire sentimentale d’un couple de la société argentée italienne d’après-guerre, nous rappelant par exemple le Voyage en Italie de Roberto Rossellini où un couple en difficultés doit se retrouver dans un voyage initiatique.
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Et puis, avec la disparition apparaît la dimension policière et on s’attend alors au développement d’une enquête. Mais tout comme le photographe de Blow Up d’Antonioni réalisé quelques années plus tard, l’objet essentiel de questions et d’interrogations n’est pas là où on le pense. Au lieu de focaliser l’attention du spectateur sur cette enquête, Antonioni décide de ne pas suivre ce qui aurait pu créer le spectaculaire, l’extraordinaire d’un événement hors du commun (une disparition sur une île déserte : on est à la frontière du fantastique), pour reprendre un certain chemin du néo-réalisme italien qui visait la représentation de la vie telle qu’elle est. Si le récit à suivre paraît davantage tourné vers l’abstrait, c’est que tels sont les sentiments humains, qui ne s’agencent pas naturellement selon une rationalité bien établie.
La vie est complexe et Antonioni a voulu en témoigner. Comme le souligne Olivier Assayas dans un des bonus de cette édition DVD, vouloir simplifier une histoire de vie à des codes préétablis, c’est mentir au spectateur sur sa propre existence, naturellement en miroir dans un film. L’Avventura ne fait donc pas partie de l’industrie de l’”entertainment” qui vise à sortir durant un temps d’une vie difficile à assumer pour se persuader que l’on peut s’en sortir comme un héros de cinéma en en suivant comme par automatismes mimétiques les codes scénaristiques. Paradoxalement, l’”aventure” du titre semble s’opposer à l’enjeu du film. Ce ne sera donc pas un film d’aventure traditionnel, où l’on voyage d’un pays à un autre à la poursuite d’un trésor, de criminels, d’une femme à délivrer comme aurait pu le laisser présager cette fameuse disparition féminine...
Néanmoins, chacun est pétris par un lourd héritage de l’aventure. Sandro ne désire se renouveler qu’à travers de nouvelles aventures féminines, qui lui permettent d’évacuer ses peurs et ses responsabilités : la disparition de sa fiancée est en cela symbolique de ce qu’était devenue pour lui cette femme. Il la niait en ne désirant qu’une partie d’elle et c’est pourquoi elle ne pouvait se retrouver dans sa relation à lui, qui la conduit à disparaître.
Si l’inquiétante étrangeté apparaît ici, c’est à la manière des tableaux de De Chirico qui en l’absence de personnages humains mais à travers des fabrications humaines, interrogent d’autant plus l’homme qui les regarde. En installant dans la lenteur de la vie quotidienne de tout un chacun plongé dans la vie telle qu’elle est, le cinéaste propose au spectateur de réfléchir sa propre existence. Le spectateur devient scénariste, prenant ici et là les possibilités de se raconter son propre film.
Un acte novateur dans le cinéma qui ne propose rien de moins que la liberté de penser dans un art paradoxalement extrêmement dirigé (à travers le scénario, le jeu des acteurs, la lumière, les décors, etc.).Il ne faut pas oublier dans ce film la brillante interprétation de Monica Vitti dont c’est le premier rôle important. Elle allait ensuite devenir la femme d’Antonioni et surtout l’égérie d’un cinéma italien très promoteur. Du drame à la comédie d’Ettore Scola, Monica Vitti assume ses rôles avec brio et fait d’elle la grande révélation de L’Avventura.
Cédric Lépine