La critique de TV Classik
Né d’un griffonnement sur un coin de table à partir de la contraction dialectique de la phrase"(io)mi ricordo" (je me souviens), ce néologisme aura été pour Federico Fellini le point de départ d’une introspection menée conjointement avec Tonino Guerra, d’un retour au cœur de sa propre enfance passée dans la station balnéaire de Rimini (reconstituée en studio). Tenant moins de l’autobiographie (le personnage principal, Titta, ne s’inspire pas de Fellini mais de ses camarades d’école de l’époque) que d’un « recueil de réminiscences », "Amarcord" ne prétend jamais relater la vérité des anecdotes, mais leur parfum, leur atmosphère, leur vestige déformé par le temps dans la mémoire du cinéaste. Conçus comme des caricatures, grotesques et excessives, les personnages d’"Amarcord" ressemblent aux adultes des livres d’enfants, des archétypes fantasmés qui comptent moins pour ce qu’ils sont que pour ce qu’ils évoquent. "Amarcord" est donc un film vaporeux, nébuleux, qui semble oublier bien des conventions narratives ou formelles pour voguer, librement, sur les mers de la géniale fantaisie de son auteur.
On pourrait ainsi affirmer qu’"Amarcord" est un film inégal, avec quelques longueurs, mais ce rythme si singulier n’est pas le moindre des charmes de ce film dont la texture même est celle des rêves... Comme telle, l’œuvre se prête d’ailleurs à une variété d’interprétations, qu’elles soient socio-politiques (le film évoque, en filigrane, la montée du fascisme et de l’antisémitisme dans l’Italie de l’entre-deux-guerres), psychanalytiques (la projection du moi fellinien dans un passé réinventé) ou érotiques (la gironde buraliste aux seins opulents fantasmatiques). Insolent, drôle et débordant d’inventivité, "Amarcord" est toutefois surtout un film splendide, à l’énergie visuelle foisonnante, aux couleurs vives et chatoyantes, parsemé d’images fulgurantes qui s’impriment, à jamais, dans l’imaginaire de son spectateur envoûté : l’arrivée nocturne du paquebot dans le port ; l’idiot refusant de descendre de son arbre ; les trente femmes de l’émir ; la beauté de la Gradisca ou la folie de Volpina ; la tête géante du Duce et le défilé des Chemises Noires ; l’inoubliable apparition onirique d’un paon sous une tempête de neige... « Mi ricordo » : le poète se souvient, et des méandres de son imaginaire surgit, comme par enchantement, la plus pure des beautés.
Antoine Royer