Anouk Aimée à droite
Enfant de la culture populaire qui a construit tout son art sur les pouvoirs hypnotiques de l’image et du spectacle, Fellini assiste avec désarroi à leur désacralisation et à leur instrumentalisation. Le cirque, le music-hall, les spectacles de variétés, le grand écran étaient des espaces de rassemblement, des rituels, des lieux aptes à recueillir la communication d’un message. La télévision n’est que le dévoiement de la culture de masse : le spectateur en pantoufles et devant son plat de pâtes, passé maître dans l’art du zapping, attend d’être amusé. « Vous, l’auteur, vous ne pouvez ignorer ce fait et vous devez donc être immédiatement très amusant ou très intéressant, comme autrefois certains jongleurs ou saltimbanques, sur les places, qui devaient attirer l’attention des gens vaquant à leurs affaires […]. Celui qui s’apprête à parler au moyen de la télévision doit tenir compte de ce climat, de cette morphologie de la communication. »
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De grands amuseurs publics condamnés à jouer aux guignols pour ne pas lasser, et un public sans cesse plus satisfait de ces spectacles pathétiques qui l’avilissent : voilà la nouvelle morphologie de la communication. Contrairement à un cinéaste comme Pasolini, Fellini n’a jamais cherché à monter sur une tribune politique pour haranguer les masses : sa pratique artistique était l’unique lieu de sa parole civile et politique. Il faut croire pourtant que dans les années 1980, il n’est plus tout à fait possible de se taire, et le cinéaste n’hésitera pas à élever la voix contre certaines manoeuvres de Berlusconi, alors en train d’étendre son emprise sur le monde des médias. Revoir Ginger et Fred, pamphlet désabusé et tristement comique, ne serait pas une perte de temps : Fulvio Lombardoni annonce bien d’autres amuseurs publics…
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Fellini on TV
Contrairement à la lune de La Voce della Luna, Fellini a toujours pris soin de ne pas se laisser capturer par la télévision.Passer devant la caméra ne lui pose aucun problème, à condition de rester maître de la création de son image.Déjà en 1992,quand NBC lui demande de réaliser une sorte de documentaire sur lui-même, Fellini mène la danse:ce sera le Bloc-Notes d’un cinéaste.Bien plus tard, dans Intervista, l’équipe de télévision japonaise venue interviewer le Maestro en est pour ses frais :car jamais Fellini ne quittera sa position de grand marionnettiste.Maître du jeu jusqu’au bout, c’est lui qui tire les ficelles des journalistes, c’est lui qui les filme et les met en scène.
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Après La Dolce Vita, Fellini, le « grand menteur » , accepte de se « confier » à son ami et assistant Dominique Delouche, dans quatre entretiens réalisés entre 1960-1962 pour la télévision belge. Fellini « joue le jeu », sans aucun doute… En tant qu’ « inventeur de fables », je pourrais inventer des tas d’histoires, commence-t-il par dire, avant d’accepter « ce climat de confession un peu absurde ». Absurde ? Oui, car après tout, quelle est la différence entre l’invention et la vérité, poursuit le cinéaste ? Dans Ginger et Fred ou dans La Voce della Luna, il crée lui-même les publicités et les programmes télévisés dont se repaissent ses personnages : il les intègre à sa fiction, les transforme en matériaux pour l’image cinématographique, signifiant par là que c’est encore lui qui fait sa loi, lui le créateur, et qu’il n’est pas prêt de céder aux diktats ambiants.