La mise en scène de cette société du spectacle est le fil rouge qui se tisse entre les films de Fellini, une mise en scène qui oscille entre la fascination et la critique lucide, avant de tourner à l’amertume dans les derniers films. Le Satyricon lui-même est loin d’être une fuite hors du temps : Fellini en fait une « allégorie du monde d’aujourd’hui », comme La Dolce Vita était un Satyricon moderne, en 1969.
Si Encolpe, Ascylte et Giton y sont trois hippies antiques, trois jeunes révoltés qui errent dans un monde sans repères, Trimalcion l’affranchi, le parvenu, est un ogre répugnant, dispensateur de dîners gargantuesques, qui règne sur sa cour grâce à la maîtrise du spectacle et de la mise en scène. « Le Pain et le cirque », disait Juvénal : de l’antiquité au monde contemporain, en passant par le fascisme, les choses n’ont que peu changé.
La gigantesque mosaïque qui figure Trimalcion renvoie au portrait en fleurs du Duce dans Amarcord et annonce la dictature télévisuelle de Ginger et Fred ou de La Voce della Luna.Dans cet ultime film réalisé par Fellini, c’est la lune elle-même qui est capturée et qui devient la vedette d’un show télévisée dérisoire et vulgaire. Dans Ginger et Fred, Giulietta Masina et Marcello Mastroianni sont les victimes d’un pathétique jeu télévisé, qui n’offre plus aux spectateurs que les sosies des grandes figures du passé : Woody Allen, Kafka, Proust, Brigitte Bardot...
Et eux-mêmes, Giulietta-Ginger et Mastroianni-Fred, sosies fantoches de Ginger Rogers et de Fred Astaire, se noient dans un univers inhumain manipulé par le Cavaliere Fulvio Lombardoni, prince de l’antenne et de l’audimat.
Les derniers films de Fellini se teintent d’une mélancolie absente de la satire comique des Tentations du docteur Antonio : là, Anita Ekberg parvenait encore à sortir du panneau publicitaire où la société de consommation l’avait enfermée. Géante aux courbes voluptueuses, elle se mettait alors à poursuivre de sa sensualité le nain Antoine Mazzuolo, défenseur pudibond d’une société puritaine et hypocrite.