Thèmes et symboles de la poétique de Morrison
Le caractère cousu, décousu et recousu du travail de Morrison amène à un constat : s'il « fabrique » bien « de la poésie » (au partitif), il paraît difficile de désigner ses écrits comme « des poèmes », chacun constituant comme une fenêtre ouverte sur un « univers poétique » structuré autour de plusieurs « événements » ou « lieux-types ». En voici quelques exemples, récurrents dans l'œuvre de Morrison.
La « Highway »
Littéralement, la « grand-route » qui, dans la symbolique occidentale classique, représente le voyage, la liberté et l'aventure. Chez Morrison, la « highway » désigne aussi l'autoroute, laquelle se trouve connotée négativement. Primo, elle rappelle à Morrison le drame dont il a été témoin étant enfant et qui le marqua profondément (voir plus haut). Secundo, elle constitue le décor des « exploits » de Billy, l'autostoppeur assassin: Morrison était hanté par l'histoire d'un jeune homme qui part en auto-stop au Mexique pour s'y marier et dont le périple se transforme en bain de sang.
Il raconte cette aventure de manière allusive dans la chanson Riders On The Storm, plus en détail dans le recueil Far Arden et enfin sous forme de scénario cinématographique dans The Hitchhiker. An American Pastoral. Tertio, indissociable de la voiture et de l'american way of life, la highway exprime dans la poésie morrisonnienne un sentiment d'angoisse à l'idée que l'humain dispose d'une puissance qu'il ne maîtrise absolument pas et dont il pourrait aisément se retrouver victime.
« LAmerica »
« LAmerica » (titre de six poèmes et chansons parfois orthographié L'America ou Lamerica) constitue un double jeu de lettres : d'une part, la contraction des initiales de Los Angeles avec le nom du continent, d'autre part le jeu entre les initiales L.A. et l'article féminin défini en espagnol et en français, ce qui permet une personnalisation de l'Amérique sous les traits d'une femme. Ces poèmes évoquent tantôt l'histoire de l'Amérique, y compris de sa découverte par les Vikings lors de l'expédition menée par Erik le Rouge (tel est le cas, par exemple, dans LAMERICA/Trade-routes), tantôt ses promesses exaltantes (dans LAmerica/Cold treatment of our empress, Morrison écrit : « lamerica/swift beat of a proud heart/lamerica/eyes like twenty/lamerica/swift dream » — « lamerica/battement vif d'un cœur fier/lamerica/des yeux de vingt ans/lamerica/rêve vif ») ; ces thèmes et les jeux de lettres qui conduisent à l'élaboration du mot-valise LAmerica permettent de comprendre que, pour Morrison, la ville de Los Angeles constitue une sorte de microcosme révélant l'ensemble de l'Amérique, celle-ci étant elle-même l'avant-garde et le point culminant de la civilisation occidentale tout entière.
Mais à ce point culminant, le contraste et le paradoxe atteignent aussi leur paroxysme car Morrison associe toujours LAmerica à l'idée de la vieillesse, de la stérilité, de l'épuisement et de l'agonie. Il la décrit par exemple (dans LAMERICA/Trade-routes) ; « rich vast & sullen/like a slow monster/come to fat/& die » (« riche vaste et maussade/comme un monstre lent/venu engraisser/et crever »). Cette idée selon laquelle Los Angeles, l'Amérique et la civilisation occidentale ont atteint leur moment de déclin trouve à s'exprimer explicitement dans The Lords, où la multiplication des cinémas s'analyse précisément comme le symptôme d'une grave dénaturation des humains et comme le présage d'une déchéance inévitable. Or, pour Morrison, cette déchéance se connote aussi de manière palingénétique,(Fffff je fatigue là ...pas vous ?) car cet événement tragique constitue aussi l'occasion de refonder la civilisation. Il s'agit, donc, de « donner le coup de grâce » à la civilisation occidentale et, pour cela, de changer les valeurs de l'Amérique.