Résumé 2
Jean, un déserteur, arrive au Havre en camion et recherche un abri avant de quitter la France. Il est hébergé dans une cabane au bout des quais par l'étrange et chaleureux Panama.Il fait la connaissance d'un curieux peintre, Michel et d'une belle jeune fille triste, Nelly. Elle est terrorisée par son tuteur, un homme assez louche-Zabel- lui-même guetté par un petit groupe de voyous dont le chef est Lucien.
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Celui-ci est un personnage veule. Jean le gifle devant ses acolytes un matin où il importune Nelly....Michel (Robert Le Vigan) se suicide, laissant à Jean ses vêtements civils et son passeport. Jean décide de s'embarquer pour le Venezuela mais le souvenir de la nuit qu'il vient de passer avec Nelly le retient à terre. Il court chez la jeune fille, trouve Zabel, une scène violente éclate et Jean écrase le crâne de Zabel à coups de brique...
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DVD Classik (suite et fin)
Et puis il y a cet amour impossible entre Jean et Nelly : inscrite dans un monde trop sombre, leur histoire est sans issue. Pour exprimer ce décalage entre leur passion et la réalité, Carné oblige ses héros à se cacher : c’est derrière les planches d’une bicoque que Gabin déclare à Michelle Morgan cette tirade inoubliable : « T'as d'beaux yeux, tu sais. » Et c’est encore cachés qu’ils prononceront le mot « Amour ». A l’opposé de ces comédies musicales hollywoodiennes dans lesquelles les héros livrent leurs sentiments à la ville entière, la passion de Jean et Nelly ne doit pas sortir dans la rue sous peine d’être à jamais détruite.
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En mettant en scène ces héros reclus, on ne peut s’empêcher de voir dans l'univers de Marcel Carné l’augure d’une période sombre où les hommes vivront terrés pour affronter le monstre totalitaire. L’ironie veut que Le Quai des brumes fût interdit pendant la guerre : les autorités vichyssoises accusèrent Carné d’être à l’origine de la défaite de 1940.Ce à quoi le cinéaste répondit avec finesse en déclarant :"On ne rend pas le baromètre responsable de l’orage et la fonction de l’artiste est de se faire le baromètre du temps qu’il fait"
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Enfin, comment parler de ce chef-d’oeuvre sans évoquer le talent de Prévert. Les dialogues issus de son adaptation insufflent une touche de poésie et donc d’espoir.Le fameux"T’as d'beaux yeux,tu sais"suivi du regard amoureux de la jeune Morgan est un exemple de ce style Prévert qui remplit de bonheur le cœur du spectateur.La comparaison entre le cinéma de Carné et celui de Von Trier est ici évidente :dans ses drames aux destinées si brutales,le réalisateur de Breaking the Waves ponctue son récit de touches poétiques dont les plus belles sont ces rêves chantés par Selma / Bjork.
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Aujourd’hui adulé par la critique comme une icône du cinéma moderne, le cinéaste danois s’inscrit comme héritier d’un Marcel Carné dont le cinéma est encore injustement considéré par certains comme obsolète ! Pour conclure sur ce magnifique Quai des brumes, que dire si ce n’est répéter combien il est injuste d’enfermer cette œuvre dans le musée sombre et poussiéreux du cinéma français. Ce film aux multiples facettes, qui fut un présage de la Seconde Guerre mondiale, connut un succès monstre dans les salles françaises. Le public; désabusé comme le Jean de Marcel Carné, était en quête de poésie et d’amour. Aujourd’hui cette œuvre doit être vue comme la pierre angulaire d’un cinéma réaliste, poétique et toujours aussi vivant...
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François-Olivier Lefèvre - le 28 décembre 2002