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Mike Judge avait déjà déversé tout son fiel sur la culture (acculture) américaine avec sa série « Beavis and Butt-Head ». Pour son deuxième long métrage (après « Office Space » en 1999), il imagine un futur de l'Humanité particulièrement inquiétant de bêtise crasse. On suit ainsi le périple de Joe Bauers (Luke Wilson), un soldat sélectionné pour une expérience de l'armée, non pour ses capacités mentales ou physiques mais parce qu'il est est l'archétype parfait de l'Américain moyen. Il se situe au milieu de tous les tests et s'est fait comme spécialité de ne jamais en faire trop, s'échinant à être le plus discret possible afin de passer ses années de service derrière le bureau de la bibliothèque de l'armée, forcément peu visitée.
En compagnie d'une prostituée, Rita (Maya Rudolph), il est cryogénisé et tout deux doivent être réveillés une année plus tard. Seulement l'expérience est enterrée, et Joe et Rita se retrouvent cinq cents années dans le futur. L'évolution a fait son œuvre, mais dans un sens radicalement opposé à celui attendu : comme ce sont les gens les plus crétins, acculturés et pauvres qui font le plus d'enfants, la civilisation s'est écroulée en même temps que le QI moyen. Ils découvrent donc un monde complètement à la ramasse, où les déchets s'accumulent jusqu'à former des montagnes et provoquer des éboulements, où l'eau a été remplacée par une boisson énergisante (qui sert aussi à arroser les plantations, d'où une pénurie alimentaire sans précédent), où le président a été élu pour ses biscotos, son passé de star du porno et son look de gangsta rap.
A partir de ce postulat original et loufoque, Mike Judge tire à boulets rouges sur l'Amérique contemporaine. Tout y passe : le culte de l'argent, la mainmise des médias sur la société, la justice expéditive (la peine de mort par Monster Truck !), l'inconscience écologique, l'appétit carnassier et destructeur des multinationales, l'appauvrissement de la langue, la disparition de toute forme de culture au profit d'émissions télé décérébrantes... la charge est particulièrement féroce, Mike Judge utilisant sa fable pour décrire ce nivellement par le bas qu'il observe chez ses contemporains. Sans jouer la carte de la provocation à outrance ou du cynisme, Judge livre une comédie acide irrésistible, préférant souvent l'absurde aux gags potaches, multipliant à chaque plan des idées visuelles aussi hilarantes qu'effrayantes.
Car cette vision d'un monde tout entier livré à la bêtise et à l'ignorance fait aussi particulièrement froid dans le dos, et ce même si le cinéaste joue admirablement avec nos zygomatiques. La Fox a refusé de soutenir le film lors de sa distribution, si bien que « Idiocracy » n'a eu droit qu'à une sortie technique aux États-Unis et un peu partout dans le monde. Comme quoi le système ne parvient pas encore à tout digérer, ce qui rend salutaire des films comme celui de Mike Judge, la subversion pouvant encore trouver son chemin dans le formatage du cinéma par l'industrie.
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