Photo d'un groupe de bourgeons et d'aristochats
(L'homme au monocle:Pascal Gregory)
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Rendu à la vie civile, il suit à l’École libre des sciences politiques les cours d’Albert Sorel (qui le juge « pas intelligent » lors de son oral de sortie) et d'Anatole Leroy-Beaulieu ; à laSorbonne ceux d'Henri Bergson, son cousin par alliance, au mariage duquel il sera garçon d'honneur et dont l’influence sur son œuvre a été parfois jugée importante, ce dont Prousts'est toujours défendu. Marcel Proust est licencié ès lettres en mars 1895.
En 1894, il publie Les Plaisirs et les Jours, un recueil de poèmes en prose, portraits et nouvelles dans un style fin de siècle où son art se montre plein de promesses. Illustré par Madeleine Lemaire, dont Proust fréquente le salon avec son ami le compositeur Reynaldo Hahn, le livre passe à peu près inaperçu et la critique l'accueille avec sévérité — notamment l'écrivain Jean Lorrain, réputé pour la férocité de ses jugements.
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Il en dit tant de mal qu'il se retrouve au petit matin sur un pré, un pistolet à la main. Face à lui, également un pistolet à la main : Marcel Proust, avec pour témoin le peintre Jean Béraud. Tout se termine sans blessures, mais non sans tristesse pour l'auteur débutant. Ce livre vaut à Proustune réputation de mondain dilettante qui ne se dissipera qu'après la publication des premiers tomes d’À la recherche du temps perdu.
La fortune familiale lui assure une existence facile et lui permet de fréquenter les salons du milieu grand bourgeois et de l'aristocratie du Faubourg Saint-Germain et du Faubourg Saint-Honoré. Il y fait la connaissance du fameux Robert de Montesquiou, grâce auquel il est introduit entre 1894 et le début des années 1900 dans des salons plus aristocratiques, comme celui de la comtesse Greffulhe, cousine du poète, de la princesse de Wagram, née Rothschild, de la comtesse d'Haussonville, etc.
Il y accumule le matériau nécessaire à la construction de son œuvre : une conscience plongée en elle-même, qui recueille tout ce que le temps vécu y a laissé intact, et se met à reconstruire, à donner vie à ce qui fut ébauches et signes. Lent et patient travail de déchiffrage, comme s'il fallait en tirer le plan nécessaire et unique d'un genre qui n'a pas de précédent, qui n'aura pas de descendance : celui d'une cathédrale du temps. Pourtant, rien du gothique répétitif dans cette recherche, rien de pesant, de roman - rien du roman non plus, pas d'intrigue, d'exposition, de nœud, de dénouement.
Le 29 juin 1895, il passe le concours de bibliothécaire à la Mazarine, il y fait quelques apparitions pendant les quatre mois qui suivent et demande finalement son congé. En juillet, il passe des vacances à Kreuznach, ville d'eau allemande, avec sa mère, puis une quinzaine de jours à Saint-Germain-en-Laye, où il écrit une nouvelle, La Mort de Baldassare Silvande, publiée dans La Revue hebdomadaire, le 29 octobre suivant et dédicacée à Reynaldo Hahn. Il passe une partie de mois d'août avec Reynaldo Hahn dans la villa de Mme Lemaire dans sa villa de Dieppe. Ensuite, en septembre, les deux amis partirent pour Belle-Île-en-Mer et Beg-Meil. C'est l'occasion de découvrir les paysages décrits par Renan.
Il rentre à Paris mi-octobre.C'est donc à partir de l'été 1895 qu'il entreprend la rédaction d'un roman qui relate la vie d'un jeune homme épris de littérature dans le Paris mondain de la fin du XIXe siècle. On y retrouve l'évocation du séjour à Réveillon qu'il fait à l'automne, encore chez Mme Lemaire, dans son autre propriété. Publié en 1952, ce livre, intitulé, après la mort de l'auteur, Jean Santeuil, du nom du personnage principal, est resté à l'état de fragments mis au net.