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©-DR- PULP FICTION de Q.Tarentino p6
30/01/2012 08:24
L'hommage en tant qu’essence
Cinéma
Pulp Fiction fourmille d'hommages rendus à d'autres films, Gary Groth employant d'ailleurs le terme de « kleptomane du cinéma » pour qualifier Tarantino[131]. Deux scènes en particulier ont donné lieu à des débats concernant l'intertextualité du film : la scène de danse entre John Travolta et Uma Thurman et celle où Butch Coolidge et Marsellus Wallace sont confrontés à leurs tortionnaires. La scène de danse a souvent été perçue comme une référence aux performances de Travolta dans La Fièvre du samedi soir (1977) et Grease (1978) mais Tarantino en crédite l'inspiration à Bande à part (1964), de Jean-Luc Godard. Selon les mots du réalisateur : « Tout le monde pense que j'ai écrit cette scène juste pour faire danser John Travolta. Mais la scène existait avant que Travolta ne soit engagé… Mes scènes musicales préférées sont celles des films de Godard parce qu'elles sortent de nulle part. C'est si contagieux, si familier. Et le fait que ce ne soit pas un film musical, mais qu'il arrête le film le temps d'une scène musicale, rend le tout plus doux »[6].
Jerome Charyn soutient que la présence de Travolta est essentielle à l'énergie de la scène et à celle du film, écrivant que « la carrière tout entière de Travolta devient une toile de fond, le mythe d'une star du cinéma tombée en disgrâce mais qui demeure toujours dans nos mémoires comme le roi du disco. Nous nous attendons toujours à ce qu'il se débarrasse de sa bedaine, enfile un costume blanc en polyester et entre au 2001 Odyssey Club de Brooklyn où il dansera pour nous sans jamais s'arrêter. Daniel Day-Lewis n'aurait jamais pu réveiller un désir si ardent en nous car il ne fait pas partie de la folle cosmologie de l'Amérique… Tony Manero[N 7] est un ange posé sur l'épaule de Vincent Vega… [La danse de Mia et Vincent] est peut-être plus proche de la chorégraphie d'Anna Karina avec ses deux petits amis voyous et empotés dans Bande à part mais cette référence est perdue pour nous car nous sommes encore avec Tony »[132].
Estella Tincknell note que tandis que « le décor du diner semble être un simulacre d'un restaurant des années 1950, le concours de twist est une scène musicale qui évoque les sixties alors que la danse de Travolta fait inévitablement référence aux seventies et à son apparition dans La Fièvre du samedi soir… Le passé prend ainsi un aspect plus général dans lequel les styles caractéristiques de plusieurs décennies sont regroupés en un seul moment. » Elle affirme aussi que, lors de ce passage, Tarantino « diverge brièvement de son discours habituellement ironique pour se référer aux conventions du film musical classique, et permet ce faisant au film d'occuper un espace affectif qui dépasse l'allusion stylistique »[55].
Le moment où Marsellus Wallace traverse la rue devant la voiture de Butch Coolidge et remarque sa présence en tournant la tête évoque la scène où le patron de Marion Crane la voit dans des circonstances similaires dans Psychose[133]. Butch et Marsellus sont peu après faits prisonniers par Maynard et Zed, « deux sadiques sortis tout droit de Délivrance »[127] (le film de John Boorman). Zed porte par ailleurs le même nom que le personnage interprété par Sean Connery dans Zardoz (1974), autre film de Boorman. Quand Butch décide de secourir Marsellus, il trouve plusieurs articles du magasin pouvant lui servir d'armes qui ont toutes été identifiées comme des allusions possibles à divers films : The Toolbox Murders (1978) pour le marteau ; Justice sauvage (1973) et Les Incorruptibles (1987) pour la batte de baseball ; Massacre à la tronçonneuse (1974), MegaVixens (1976) et Evil Dead 2 (1987) pour la tronçonneuse ; et de nombreux films du genre chanbara pour le katana[134],[135]. Après avoir été secouru par Butch, Marsellus prononce une phrase sur deux experts « qui vont travailler nos deux copains avec une paire de pinces, un chalumeau et un fer à souder » qui renvoie à une phrase similaire de Tuez Charley Varrick ! (1973), film de Don Siegel, qui est prononcée par un personnage nommé Maynard[136].
David Bell estime que loin d'aller à l'encontre des « stéréotypes de classes courants », cette scène, comme celle de Délivrance, « fait appel à une certaine représentation des blancs pauvres des régions campagnardes, en particulier leur sexualité rustique qui prend souvent la forme d'un viol homosexuel dans les films américains »[137]. Stephen Paul Miller pense que la scène de viol de Pulp Fiction est beaucoup moins choquante que celle de Délivrance, le tabou des années 1970 étant devenu vingt ans plus tard un « jeu subtil et divertissant pour faire monter l'adrénaline »[138]. Henry Giroux fait une analyse semblable, écrivant qu'« à la fin, l'utilisation de la parodie par Tarantino… adoucit le visage de la violence en réduisant celle-ci au domaine de l'histoire du cinéma »[130].
Neil Fulwood se concentre sur le choix de son arme fait par Butch, affirmant que « Tarantino se montre ici ouvert et neutre dans son amour du cinéma, saluant aussi bien les films les plus nobles que tristement notoires, et augmentant du même coup sa propre réputation d'enfant terrible du film violent. Plus encore, la scène formule un commentaire astucieux au sujet de la promptitude à saisir tout ce que l'on a sous la main dans les instants de meurtre et de mutilation au cinéma »[135]. Glyn White soutient que « le katana que choisit finalement, et de façon significative, [Butch]… l'identifie comme un héros honorable »[134]. Et Mark Conard note que les trois premières armes potentielles sont le symbole d'un nihilisme que Butch rejette alors que la sabre japonais traditionnel, par contraste, représente une culture avec un code moral bien défini, reliant ainsi Butch à une approche de la vie ayant plus de sens[139].
Télévision
Robert Miklitsch affirme que la « téléphilie » de Tarantino est peut-être plus importante dans la sensibilité guidant Pulp Fiction que l'amour du réalisateur pour le rock'n'roll ou même le cinéma. Il se base sur une déclaration de Tarantino au sujet de sa génération, qui a grandi dans les années 1970 : « la première chose que nous avons tous partagée n’était pas la musique, qui était un truc des années 60. Notre culture était télévisuelle » et dresse la liste de tous les programmes télévisés référencés dans Pulp Fiction : Speed Racer, Clutch Cargo, The Brady Bunch, The Partridge Family, Chapeau melon et bottes de cuir, Les Trois Stooges, Les Pierrafeu, Les Espions, Les Arpents verts, Kung Fu, Happy Days et bien sûr le pilote fictionnel tourné par Mia Wallace. Miklitsch écrit que cette liste, à l'exception possible de Chapeau melon et bottes de cuir, « suggère que Pulp Fiction a moins d'affinité élective avec le cinéma avant-gardiste de Godard qu'avec les programmes télévisés nationaux »[140].
Jonathan Rosenbaum a introduit la télévision dans son analyse de la comparaison entre Tarantino et Godard, reconnaissant que les deux réalisateurs étaient semblables dans le fait de vouloir mettre tout ce qu'ils aiment à l'écran. Mais il ajoute que « la différence entre ce que Godard aime et ce que Tarantino aime, et pourquoi, est astronomique ; c'est comme comparer un musée, une bibliothèque, des archives cinématographiques et un magasin de disques à un juke-box, un magasin de locations de vidéos et un magazine de programmes télévisés »[141].
Sharon Willis étudie la façon dont une série d'animation (Clutch Cargo) marque le début de la scène, et continue à être en arrière-plan tout au long de celle-ci, entre le jeune Butch Coolidge et la capitaine Koons. Ce vétéran de la guerre du Viêt Nam est interprété par Christopher Walken, dont le rôle ici évoque celui du soldat traumatisé qu'il a joué dans Voyage au bout de l'enfer (1978). Willis écrit que « Quand le capitaine Koons entre dans le salon, nous voyons Walken en tant qu'image d'une masculinité abîmée en quête de réhabilitation sortie d'un répertoire de cinéma et télévision des années 70… La lumière grise de la télévision présidant au-dessus de la scène semble graver son fixe et fantomatique regard paternel »[142]. Robert Miklitsch soutient que, pour certains critiques, le film est un « exemple typique de l'influence pernicieuse de la culture de masse, représentée par leur bête noire : la télévision »[140]. Robert Kolker est d'accord avec cela, estimant que « Pulp Fiction est un simulacre de notre exposition quotidienne à la télévision ; ses homophobes, voyous, pervers, boxeurs sentimentaux et proxénètes se déplacent à travers une série de longues scènes : nous regardons, rions, et restons devant l'écran sans qu'il n'y ait rien à comprendre »[128].
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