Nan..pas une scène "mythique",ni une scène "culte",juste une scène pour laquelle un acteur et une actrice,qui vont être grassement payés ,encensés,félicités,lèche-cul isés,récompensés,oscarisés, dansent le twist.Point final.
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Analyse
Artificialité et postmodernisme
Quentin Tarantino a indiqué qu'il avait prévu dès le départ de réaliser un « Black Mask movie », se référant par ce terme au magazine ayant popularisé les histoires de détectives dans le genre noir[107]. Le critique Geoffrey O'Brien voit le résultat comme relié « assez fortement à une autre forme traditionnelle des pulp magazines : les contes de fantastique et d'horreur écrits entre autres par William Irish et Fredric Brown… Tous deux se situent largement dans un royaume d'improbables coïncidences et de cruelles plaisanteries cosmiques, un royaume que Pulp Fiction a fait sien »[108]. O'Brien trouve en particulier une forte affinité entre les intrigues complexes et les retournements de situation des romans de Brown et la structure récursive et entrelacée du film[109].
Par ailleurs, l'ordre des différents cahiers reliés pour former les pulp magazines était souvent erroné, la fin pouvant se retrouver avant le début, comme dans le film de Tarantino. James Mottram considère le romancier Elmore Leonard, dont Tarantino a reconnu l'influence, comme la principale inspiration littéraire du film. Il suggère que les « riches dialogues » de Leonard se reflètent dans ceux, basés sur la culture populaire, de Tarantino, et met aussi en avant le fait que le sens de l'humour aigu et très noir de Leonard prend un monde violent comme source d'inspiration[110].
Pulp Fiction est considéré comme un des principaux représentants du cinéma postmoderne, qui se caractérise par « son évocation d'une force viscérale si intense qu'elle se substitue à tout souci d'atteindre un sens profond », détachant de l'intrigue des « morceaux de bravoure isolés, soit par le brio des dialogues, soit par l'étrangeté de l'action, soit par l'étalage virtuose du style cinématographique »[111]. Robert Kolker voit « les fioritures, l'apparente banalité pleine d'esprit des dialogues, la rupture maladroite de la temporalité [comme] une couche transparente par-dessus un pastiche […] essentiellement de deux films que Tarantino semble ne pas pouvoir se sortir de l'esprit : Mean Streets et L'Ultime Razzia »[112].
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Mais Pulp Fiction se démarque de ses prédécesseurs postmodernes hollywoodiens Hudson Hawk (1991) et Last Action Hero (1993) qui « ont poussé la blague trop loin… en ne faisant que se moquer ou en suggérant qu'ils étaient plus malins que le public » et ont connu l'échec[113]. Alberto Morsiani écrit que « l'impressionnant format en cinémascope des plans étudiés par Tarantino et son remarquable directeur de la photographie Andrzej Sekula, cadre souvent des objets en très gros plans et offre des contrastes assez vifs qui rappellent les stratégies visuelles de Sergio Leone », reconnu par Tarantino comme un de ses modèles[114]. Pour Martin Rubin, ces « images en format large expansives et brillamment colorées » évoquent plutôt celles de réalisateurs de comédies tels que Frank Tashlin et Blake Edwards[115].
Le genre du film s'est révélé particulièrement difficile à classifier, diverses hypothèses étant avancées par les analystes et les critiques. Il a été étiqueté comme une comédie noire[116] et, plus fréquemment comme du néo-noir[117],[118]. Geoffrey O'Brien s'est élevé contre cette association avec le film noir, affirmant que « les passions d'autrefois du noir, sa mélancolie cafardeuse et ses scènes de mort dignes d'un opéra seraient totalement hors de propos dans le pays des merveilles croustillant et brillamment éclairé que Tarantino a créé. Ce n'est ni du néo-noir, ni une parodie du noir »[107]. Nicholas Christopher le compare plus à une parodie de film de gangsters à l'artificialité revendiquée qu'à du néo-noir[119].
Et Foster Hirsch suggère que le « paysage psychédélique imaginaire » du film le caractérise beaucoup plus que n'importe quelle étiquette de genre[120]. Comparant Reservoir Dogs à Pulp Fiction, Alberto Morsiani affirme que le premier est un film choral alors que le second « fonctionne à travers une série continuelle de couples ». Le style des personnages, la trame et la violence des deux films les rapprochent mais « le crescendo de confrontations » de Reservoir Dogs contraste avec la « série d'accords négociés entre les protagonistes » de Pulp Fiction. Le format narratif du deuxième film de Tarantino et ses emprunts plus diversifiés en font pour Morsiani une œuvre « plus nuancée et raffinée »[121].
Les nombreuses allusions à la culture populaire présentes dans le film, allant de l'image célèbre de la jupe de Marilyn Monroe se soulevant au-dessus d'une grille de métro aux différents noms donnés aux hamburgers de McDonald's suivant les pays, ont conduit beaucoup de critiques à discuter du film dans le cadre du postmodernisme. David Walker décrit le film comme le « chef-d'œuvre postmoderne » de Tarantino, notant qu'il « est marqué par sa vénération espiègle pour les années 1950 et ses références constamment taquines et souvent respectueuses à d'autres films ». Il caractérise sa technique narrative compliquée comme une « espièglerie postmoderne »[122].
Geoffrey O'Brien compare le film à « une visite guidée dans un parc à thèmes infernal décoré avec des détritus culturels, Buddy Holly et Mamie Van Doren, la blaxploitation, Roger Corman et Baby Cart, et une musique sortie d'une vieille station de radio pour laquelle toutes les décennies depuis les années 50 existent simultanément »[107]. Catherine Constable prend le moment où la seringue d'adrénaline est plantée dans le cœur d'une Mia Wallace comateuse comme exemple postmoderne, écrivant « qu'on peut le voir en tant qu'accomplissement de sa résurrection depuis les morts, rappelant et sapant à la fois la convention gothique du pieu pour les vampires. Sur ce modèle, la mise en référence des formes et des courants esthétiques précédents va au-delà d'un pastiche creux, soutenant un mode inventif et affirmatif de postmodernisme »[123].
Concernant les thèmes du film, Foster Hirsch suggère que s'il « traite réellement de n'importe quoi d'autre que de sa propre ingéniosité, il semble consacré à la thèse douteuse selon laquelle les tueurs à gages font partie de l'humanité »[120]. Pour Alberto Morsiani, ces « tueurs impitoyables » sont néanmoins « sympathiques car ils sont pétris de vices et de vertus très humains » et « conservent une fidélité à leur nature » qui les distancie du « stéréotype hollywoodien du film d'action dans lequel tout est calculé » pour que le héros plaise au spectateur[124]. Mark Conard estime pour sa part qu'il traite du « nihilisme américain »[125]. Richard Alleva pense qu'il a « autant à voir avec la violence et la criminalité actuelle que Cyrano de Bergerac avec la réalité du XVIIe siècle en France ou Le Prisonnier de Zenda avec la politique des Balkans ».
Sa vision du film est qu'il s'agit d'une forme de romance dont l'attrait est centré sur les discours non-naturalistes des personnages à la fois cultivés, malins et vulgaires[126]. Pour Alberto Morsiani, ce film « jugé brutal et violent » « se transforme inopinément en une histoire de rédemption » à travers « la transformation du personnage de Jules, tueur féroce qui survit à la mort grâce à une "intervention divine", est béni et purifié par l'ange fascinant Harvey Keitel et découvre finalement le goût de la piété. Dans l'essence symbolique du film, Jules semble le bénéficiaire final de toute la grâce qui s'est accumulée au cours de l'histoire »[121]. Selon Alan A. Stone, « le côté absurde des dialogues », comme celui entre Vincent Vega et Jules Winnfield après le meurtre accidentel de Marvin, « transforme inopinément la signification des clichés sur la violence. Pulp Fiction démasque le mythe machiste en le rendant risible et retire le côté héroïque du délire mégalomane glorifié par la violence hollywoodienne ». Stone voit le film comme politiquement correct car il ne comporte pas de scènes de nudité ou de violences dirigées contre les femmes. Il « célèbre l'amitié interraciale et la diversité culturelle » et Tarantino « nage à contre-courant du stéréotype des classes »[127].
Mais alors que Stone voit une célébration dans cette artificialité, Robert Kolker souligne un vide en écrivant : « L'insouciance, la violence, l'homophobie et le racisme postmodernistes de Pulp Fiction sont parfaitement acceptables parce que le film ne prétend pas être sérieux et donc ne ridiculise pas [ces thèmes] »[113]. Qualifiant le film de « point culminant du cinéma postmoderne des années 90 », il explique que « le postmodernisme traite de la surface des choses ; il se situe dans un espace aplati dans lequel les évènements et les personnages sont là pour nous rappeler qu'ils représentent la culture populaire ». Kolker conclue en affirmant : « C'est pourquoi Pulp Fiction est si populaire. Pas parce que le public a saisi telle ou telle référence à Scorsese ou Kubrick mais parce que la structure narrative et spatiale du film n'a jamais menacé d'aller plus loin qu'eux dans sa signification.